Darfour : « L'Europe devrait davantage s'impliquer »

Publié le par l'est républicain

Les organisations humanitaires ont surtout créé de l'assistanat pour les deux millions de déplacés et de réfugiés, qui ne peuvent rentrer chez eux.

Pendant plus d'un an, Emmanuel David, un Nancéien de 34 ans, a travaillé de janvier 2006 à février 2007 au Darfour, côté soudanais à 20 km de la frontière tchadienne, avec une ONG suisse. Plutôt pessimiste, il ne croit pas « que les choses s'arrangeront rapidement », malgré les décisions actées à Paris.

- Où en est la situation au Darfour ?

- Depuis le début des combats en 2003, il y a eu 200.000 morts et 2,5 millions de déplacés à l'intérieur même du Soudan et des dizaines de milliers de réfugiés au Tchad. Aujourd'hui, c'est un conflit dit de basse intensité avec environ 400 tués par mois. Le ONG sont arrivées sur place en 2004. Dans les camps, la situation, n'est pas la même entre ceux qui se sont installés il y a trois ans et ceux qui y entrent en ce moment. Il n'y a pas de malnutrition. La situation sanitaire mais aussi commerciale s'est largement améliorée. La branche américaine de « Save the children » dépense chaque année 35 millions de dollars par an. Mais tout est contrôlé par le gouvernement. Il faut un permis pour tout, y compris pour des activités de la vie quotidienne.

« Un génocide »

- Les ONG ne sont-elles pas en train de créer de l'assistanat ?

- Ce risque existe. Normalement, on passe de l'urgence à la réhabilitation puis au développement. Là, on ne peut quitter la phase d'urgence à cause de l'insécurité. Au Soudan, le gouvernement empêche les constructions en dur dans les camps et les déplacés ne s'intègrent pas dans les villes parce qu'ils y sont rejetés. Cet exode rural massif et forcé est lié à la mise en place d'une agriculture moderne mécanisée. Il est plus facile ainsi de contrôler le territoire, surtout quand il y a du pétrole. Au début du conflit, l'armée soudanaise a bombardé les villages ; ensuite les jenjawids ont opéré des razzias à cheval et se sont payés sur la bête avec des meurtres, des viols et des pillages.
- S'agit-il d'un génocide ?
- Si l'on reprend les cinq articles des lois internationales qui définissent le génocide, c'en est un. Le Soudan a un problème d'identité. N'oublions pas que les jenjawids sont des Arabes qui s'en prennent à des Noirs.

L'ombre de Ben Laden

- Quel est le rôle de la France dans la région ?

- Elle a de grands intérêts militaires. Les pauvres paysans du Darfour sont victimes d'intérêts mondiaux. Il ne manque qu'un tronçon à l'oléoduc qui relie le golfe de Guinée au golfe persique, entre Khartoum et Ndjaména, la capitale du Tchad.
La France défend donc ses propres intérêts stratégiques, même si elle a plutôt de bonnes relations avec le Soudan, où le terroriste Carlos avait été arrêté. Quand les opposants au régime en place au Tchad, hébergés au Soudan, attaquent leur propre pays, des Mirage surveillent et renseignent les autorités. Toutefois, la France a vocation à s'ouvrir davantage aux autres pays européens et à ne pas agir seule.
Les Etats-Unis en revanche ne peuvent aller trop loin. Ben Laden a vécu au Soudan avant d'être prié de partir, mais y a encore des affaires. Les Soudanais menacent de laisser des bases d'Al-Qaïda s'installer chez eux.

- Pourquoi la Chine bloque-t-elle toute résolution au conseil de sécurité à l'ONU ?

- Elle a remplacé les compagnies occidentales dans l'exploitation du pétrole et achète son or noir au Soudan. Elle y trouve aussi des débouchés commerciaux. Des pressions peuvent s'exercer sur elle avant les Jeux Olympiques de Pékin.

- Etes-vous optimiste ?

- Je ne crois pas que la situation puisse s'arranger rapidement. Cela doit passer par une révolution à Khartoum, où les étudiants sont nombreux et le tissu associatif dense. A deux reprises depuis l'indépendance du Soudan, le régime a été renversé par des révoltes populaires.
Propos recueillis par Patrick PEROTTO

Publié dans INTERVIEWS

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