AFRIQUE - FRANCOPHONIE : LA LANGUE FRANçAISE PROGRESSE EN AFRIQUE

Publié le par COURRIER INTERNATIONAL

FRANCOPHONIE • "La langue française progresse en Afrique"
(Courrier International 22/09/2006)

A la veille du XIe Sommet de la francophonie, organisé à Bucarest du 28 au 29 septembre, Ariane Poissonnier, auteur de l'Atlas mondial de la francophonie*, s'interroge sur l'influence de notre langue, notamment sur le continent noir.

Courrier international : Comment évolue la langue française en Afrique ?

ARIANE POISSONNIER Le nombre de gens qui parlent français en Afrique augmente, principalement par le fait de la croissance démographique. On estime qu'il y a aujourd'hui 70 millions de francophones sur le continent, dont 25 millions au Maghreb et 45 millions au sud du Sahara. Je parle d'estimation, car le calcul n'est pas simple : ce n'est pas parce qu'un pays a le français pour langue officielle, seule ou aux côtés d'autres langues (ce qui est le cas de 21 des 29 pays africains membres, au 1er janvier 2006, de l'Organisation internationale de la francophonie), que tous les habitants de ce pays parlent le français. Au-delà des chiffres, le français conserve dans ces pays sa fonction sociale d'accès au savoir, aux diplômes, et donc à une certaine modernité.

Quels sont les facteurs qui influent sur la place du français ?

L'augmentation du nombre de francophones est tributaire de la situation socio-économique et particulièrement de l'état du système éducatif dans chaque pays, car le français sur le continent n'est que rarement la langue maternelle, parlée à la maison : il est bien plus souvent une langue seconde, apprise sur les bancs de l'école. Que le pays soit en crise, et le français recule. Que la scolarisation s'améliore, et le français progresse. La place du français peut également être tributaire de décisions politiques, comme celle d'arabiser l'enseignement par exemple, ou certains services de l'administration.

Comment est perçue la francophonie en Afrique ?

Le fait de parler français est perçu comme un outil de promotion sociale, je l'ai dit, mais aussi, je crois, comme un outil d'ouverture à l'autre, notamment dans les pays où plusieurs langues nationales cohabitent. C'est enfin une ouverture vers l'extérieur, sachant que le français est, comme l'anglais, même si quantitativement c'est à une échelle moindre, parlé sur les cinq continents et dans bon nombre d'enceintes internationales. Surtout, je crois que dans le contexte actuel d'accélération de la mondialisation et face au risque d'uniformisation qui en découle, parler français est de plus en plus perçu comme un acte d'affirmation de la diversité du monde.

La francophonie est-elle un instrument de l'influence de la France, ou considère-t-on que le français appartient aussi à l'Afrique et qu'il peut lui permettre de se faire entendre ?

Pour ce qui est de la langue elle-même, il est clair qu'elle n'est plus la propriété exclusive des Français. En Afrique, écrivains et conteurs la soumettent à leur vision du monde pendant que l'homme de la rue invente chaque jour, au gré de l'actualité, de nouvelles expressions et tournures. De mon point de vue, nous sommes 175 millions de copropriétaires du français dans le monde ! Quant à la francophonie, j'aime dire qu'elle est fille de l'histoire, à la fois celle des hommes et celle des idées. Celle des hommes s'écrit dans le bruit des armes, la violence et le rapport de force ; en ce sens le fait que l'on parle français aux quatre coins du monde est évidemment lié aux guerres menées par la France puis à ses conquêtes coloniales. Dans l'histoire des idées, le français est lié à la puissance des idéaux des Lumières et des droits de l'homme. La francophonie d'aujourd'hui a été portée par des hommes du Sud, principalement le Sénégalais Léopold S. Senghor, le Tunisien Habib Bourguiba et le Nigérien Hamani Diori, qui ont vu dans la langue française un héritage commun à faire fructifier. Si la capacité d'influence de la France bénéficie évidemment de la francophonie, celle-ci est en retour un moyen de se faire entendre sur la scène internationale pour des pays dont la voix isolée porterait moins. Comme le souligne le diplomate français André Lewin, demain, seuls les plus forts ou les plus fermement regroupés peuvent espérer jouer un rôle et exercer une influence. La Francophonie, en tant qu'organisation internationale regroupant 63 membres, est d'ores et déjà un ensemble dont chacun des membres tire profit.

Pourquoi la Francophonie a-t-elle une si mauvaise image en France ?

Par ignorance ! Jusqu'à présent, la plupart des Français regarde la Francophonie de loin, sans vouloir vraiment savoir de quoi il s'agit. Certains la qualifient d'institution néocoloniale, quand bien même ce sont des hommes du Sud, issus de pays anciennement colonisés, qui ont tout fait pour qu'elle existe ! D'autres ont parlé (et parlent encore) anglais par snobisme : langue des libérateurs de 1945, langue du jazz et de la révolution hippie, l'anglais a en effet pénétré toutes les couches de la société française et donné un coup de vieux au français. Bref, beaucoup de Français ne sont pas conscients du trésor qu'ils ont entre les mains, cette langue qui leur permet de se faire comprendre aux quatre coins du monde, que ce soit en vacances, en affaires, en amour. Une chance dont peu de peuples bénéficient. Et un atout majeur pour l'avenir.

Pourquoi avez-vous décidé d'y consacrer un ouvrage ?

Si j'ai immédiatement accepté, lorsqu'on me l'a proposé, de rédiger cet Atlas avec le géographe Gérard Sournia, c'est parce que je suis convaincue de l'importance de la francophonie et de la vision multipolaire du monde qui lui est désormais attachée. J'espère que cet Atlas sera, parmi d'autres, un outil de découverte de ces réalités. L'actualité montre une fois de plus la nécessité de préférer, à l'unilatéralisme, le dialogue dans la gestion des affaires du monde.

* Ed. Autrement, 2006.

Propos recueillis par par Pierre Cherruau et Gina Milonga Valot lors du festival Africajarc

 

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Publié dans INTERVIEWS

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