Arche de Zoë : Justice blanche ou Justice noire?

Publié le par 20 minutes.fr

justice2.1181563403.jpgLes juges tchadiens sont formidables : ils statuent en urgence le dimanche pour remettre en liberté des personnes placées en détention provisoire ! Une info mondiale : sans avoir formalisé une demande, on peut voir son mandat de dépôt levé un dimanche après-midi. Et comme la liberté est un bien précieux, l’avion du président de la République attend à la sortie de la prison les heureux libérés pour les ramener au bercail. Chapeau, et quel bonheur pour ces journalistes et ces hôtesses, alors que l’on n’a toujours pas compris le premier mot de ce qui leur était reproché.

 

Quel bonheur,… et quelle tristesse, car ce film sent le colonialisme mal digéré à plein nez.

   

   

Colonialisme mal digéré

 

D’abord, le rapport du président de la République avec les pays africains. Un nouvel avenir et tout et tout… Tu parles : une peau de chagrin. Après le discours de Dakar sur « l’Africain qui ne sait pas se projeter dans l’avenir », voici notre président devenu procureur à Ndjamena, demandant la libération de ses protégés, caméra à l’appui. Une nouvelle victime dans cette affaire : la justice tchadienne, qui aura vraiment beaucoup de peine à nous expliquer que cette libération correspond à l’esprit et à la lettre du code de procédure pénale tchadien.  

 

Ensuite, et surtout, les déclarations sur l’avenir de la procédure : l’affaire sera-t-elle jugée au Tchad ou en France ? C’est un enjeu majeur, et la justice tchadienne, et au-delà, pour la Justice en Afrique.

 

Un enjeu pour la Justice en Afrique

 

Un vol, c’est un départ et une arrivée.

 

Au départ de Paris, un communiqué de l’Elysée : « L'entretien des deux présidents portera notamment sur la protection consulaire de nos ressortissants et sur la coopération judiciaire entre le Tchad et la France dans le cadre des instructions ouvertes dans les deux pays. » No problem.

 

A l’arrivée à Ndjamena, le ton est bien différent. Comme le rapporte Le Monde, Nicolas Sarkozy après avoir salué la magistrature tchadienne, n'en a pas moins exprimé le souhait que « des ressortissants français puissent être jugés par la justice française ». Ah bon ?

 

LCI fait un état du commentaire d’un magistrat tchadien, sous couvert de l’anonymat : « Sur le plan politique, nous ne sommes pas hostiles a priori à un procès en France. Mais cela ne peut pas se passer uniquement entre les deux présidents ».

 

Il ne manquerait plus que ça !

 

Dans un monde que nous osons qualifier de moderne, il serait effectivement inconvenant que le sort d’une procédure pénale soit réglé entre deux chefs d’Etat. Soyons sérieux : ce serait du n’importe quoi. La justice ramenée au statut de variable d’ajustement des relations entre Etat : ça nous rajeunit !

 

La Justice par les juges 

 

Aussi bizarre que cela puisse paraître, la justice doit être rendue par les juges.

 

Vient la suite. Au nom de quoi, une affaire délinquante commise dans un pays X, violant les lois de ce pays X, et au détriment de victimes issues de ce pays X, serait-t-elle jugée dans un pays Y ?

 

Au nom de quoi ce pays Y pourrait-il retirer à ce pays X l’une des affaires pénales des plus importantes commises sur son sol ?

 

Faut-il comprendre l’immigration choisie inclut le choix dans l’immigration des procès? Laisser venir à moi les petits procès des Blancs égarés au pays des Noirs… Bref, une version judiciaire de « Tintin au Congo ».

 

Lex loci delicti


En droit, cela s’appelle « l’application de la règle dans l’espace ». Un classique pour les étudiants de première année. En latin, ça devient : lex loci delicti. La loi pénale s’applique à tous les individus, quelle que soit leur nationalité ou celle de leurs victimes, qui ont commis une infraction sur le territoire de l’Etat où cette loi est en vigueur.

 

Les raisons sont bien connues : il s’agit de juger au plus près du lieu où l’infraction a été perpétrée, et de s’en référer à la compétence du juge local. Mais c’est surtout une affaire de souveraineté : l’infraction aux lois édictées par l’Etat est une atteinte à son autorité, et celui-ci a le droit et le devoir de sanctionner ces transgressions de la règle. Imaginez, au hasard, une bande de jeunes carrément immigrés, violant les lois françaises, avec des victimes françaises, et le pays d’origine qui demande le rapatriement pour juger l’affaire…

 

Qui ressucite la Justice blanche?

 

C’est là un bel enjeu pour la justice tchadienne, et au delà pour les institutions judiciaires en Afrique. Car ce procès devra faire oublier les libérations politiques, obtenues par téléphone, et souligner, devant la communauté internationale, sa capacité à maîtriser un grand procès. Pas de doute que les juges tchadiens en soient capables, s’ils en restent au Code, et aux principes internationalement reconnus, qui fondent le procès pénal. C’est-à-dire la Justice. Le monde entier les regardera.

 

C’est dire aussi qu’il n’y a pas plus de Justice noire que de Justice blanche : il n’y a que la Justice ou l’Injustice. C’est la Justice blanche qui ressuscite l’idée qu’une Justice noire quand elle veut s’imposer à elle. Et là, elle nous fait horreur.

Publié dans JUSTICE

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