Burkina Faso : La défense nationale, « No man's land » pour les politiques ?

Publié le par sanfina

Pendant longtemps, l'armée c'était la « terra incognita », le « no man's land ». Plus loin on se tenait d'elle, mieux on se portait.

Ni dans les controverses publiques, ni dans les débats parlementaires, on en faisait un sujet de fond, laissant libre court à la libre discussion. Il était significatif à cet égard de voir comment à l'Assemblée, les députés se montraient si peu curieux par rapport aux lignes budgétaires consacrées à la grande Muette. Les choses se décidaient en bloc, dans le secret des Dieux.

Comment expliquer une telle frilosité ? Certainement par l'héritage jacobin reçu de la colonisation française. Le pays de Napoléon nous a légué la vision d'une administration centralisée et d'une armée « bunkérisée ». Nous avons transposé tout cela dans nos institutions et dans nos pratiques politiques mais il faut dire aussi que les comportements de cette armée pendant la colonisation ne conseillaient pas une trop grande familiarité avec les colonisés. A l'indépendance par ailleurs, les choses n'ont pas beaucoup changé sinon qu'elles se sont parfois aggravées avec l'intrusion hégémonique des militaires dans la vie nationale à travers les coups d'Etat.

Mais aujourd'hui même si l'appréhension de l'armée comme institution susceptible de critiques dans le cadre démocratique, n'est pas devenue une évidence, les choses ont beaucoup évolué. La démocratie, il est vrai, toussote, subit des agressions, des régressions même ici et là, mais elle a permis quelque peu d'ouvrir les fenêtres de la vie nationale et de faire entrer le vent de la critique dans toutes les institutions de l'Etat, jusqu'aux cercles étanches de l'armée. Et c'est bien comme cela car rien n'est plus normal pour des acteurs politiques que de donner leurs points de vue sur la conduite des affaires de l'Etat au plan politique, économique, social, militaire, diplomatique. Le programme d'un parti politique et d'un candidat à l'élection présidentielle est un programme global qui enserre tous les segments de la vie nationale.

Il serait inimaginable d'avoir un candidat à l'élection présidentielle, un parti ayant vocation à réaliser l'alternance qui s'interdise d'avoir une politique de l'armée, d' introduire la réforme dans la grande Muette sous prétexte que c'est un sujet qui échappe au débat politique.

Cette évolution, il faut pourtant le souligner, ne se fait pas facilement. Les vieilles habitudes ont la vie dure et quoi que s'étant inscrits dans le mouvement démocratique, nombre de chefs d'Etat et leurs soutiens n'ont pas cette vision libérale des choses.

L'armée, pour nombre d'entre eux, reste l'instrument par excellence de leur prégnance dans le pays. Elle est leur parapluie. C'est souvent par elle qu'ils sont parvenus au pouvoir, c'est par elle qu'ils s'y accrochent notamment en l'utilisant à des fins personnelles, à l'occasion des élections pour contrôler le scrutin, à l'occasion des manifestations pour réprimer des opposants, à l'occasion des déstabilisations à l'extérieur pour des entreprises de prédation.

Dans bien de pays, Tchad, Guinée Bissau, Sénégal, Centrafrique, Burkina Faso..., on en voit des manifestations récurrentes qui donnent souvent des haut le cÅ"ur aux opposants, particulièrement quand ils voient ainsi, dans le cadre de constitutions démocratiques et républicaines, l' armée inféodée, contrainte à porter tee-shirts, pagnes et autres gadgets à l'effigie des gouvernants, contrainte de voter en bloc pour eux (lors d'un vote spécial) comme si elle était leur propriété privée.

Mais des évolutions agissent dans la vie propre de l'institution militaire comme dans la vie nationale qui curieusement, favorisent le recadrage des choses et le retour à la nationalisation de l'armée. Dans la vie de l'armée, lorsque l'ingérence personnelle des gouvernants se fait trop forte, qu'elle tend à rompre les structures sur lesquelles repose l'armée, à développer le favoritisme, l'indiscipline, l'injustice. Il arrive que se manifestent des phénomènes de contestation, de rejet. Cela peut se résumer en de simples mouvements d'humeur mais parfois le résultat, ce sont des manifestations violentes qui peuvent aller jusqu'à des changements de régime. Des exemples du genre ne sont pas rares. C'est que les hommes qui servent leurs pays au sein des armées viennent d'horizons divers, sont traversés par des opinions multiples. Ils ne sont pas fermés au changement, ils n'ont pas plus que les autres citoyens, vocation à subir l'exploitation, l'injustice, l'humiliation.

Quand par ailleurs dans la vie nationale, la mainmise des gouvernants est trop forte sur les institutions, sur la vie politique, économique et sociale, lorsqu'elle va jusqu'à étouffer toute possibilité d'alternance et qu'il s'ensuit une gestion opaque, prébendaire, qui bloque les rouages de l'Etat, les militaires eux-mêmes, peuvent considérer qu'ils ont un devoir d'intervention pour restaurer l'autorité de l'Etat, les institutions démocratiques et républicaines, sauvegarder la paix civile. Ainsi ont-ils notamment agi sous le Mali de Moussa Traoré, sous la Mauritanie de Ould Taya, provoquant une adhésion nationale et internationale à leur action de salut public.

Les équilibres démocratiques et républicains sont tellement rompus dans bien des Etats africains qu'il n'est plus considéré comme étant un appel à la déstabilisation, à la sédition, l'invocation de ce devoir patriotique et républicain d'intervention de l'armée. Nous ne sommes plus à l'époque où le président Wade, las des fraudes et des entraves à la transparence démocratique, qui avait souhaité une telle intervention, s'était dédit devant la nature de la réprobation nationale et internationale. Les temps ont changé du tout au tout ce qui fait que lors des derniers évènements qui ont secoué la Guinée par exemple, ce n'est pas seulement dans ce pays qu'on a entendu une fois de plus demander à l'armée d'assumer ses responsabilités.

A travers l'Afrique et jusqu'au Burkina Faso, des hommes politiques, des journalistes ont regretté qu'il n'existe pas en Guinée, ce Ould Vall pour restituer au pays la justice, la liberté, la démocratie. Jeune Afrique N° 2412-2413 du 1er au 14 avril 2007, a fait pour sa part des confidences sur la crise en Guinée. Pour le journal, les USA n'auraient pas été chagrinées par un changement de cette nature, expliquant que l'Ambassadeur américain à Conakry aurait « confié au président de l'Assemblée nationale, Abubacar Somparé, de faire constater la vacance du pouvoir présidentiel et la déchéance de Lansana Conté ».

Tout doucement donc, il s'opère une mutation dans les missions de l'armée. Elle n'a pas seulement pour rôle de protéger l'intégrité territoriale du pays, elle doit devenir une armée républicaine qui se préoccupe aussi d' assurer en dernier recours, lorsque la constitution et les lois de la république sont bafouées, l'ordre public au sens large du terme, celle qui englobe la sécurité démocratique et républicaine.



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